Rapport
annuel 2020-2021 du Bureau de l’enquêteur correctionnel
Document
d’information
APERÇU
Le rapport annuel 2020-2021 du Bureau de l’enquêteur correctionnel (BEC) a été déposé au Parlement le 10 février 2022. Ses principales sections comprennent :
- Message de l’enquêteur correctionnel, qui
contient un résumé des rapports et des recommandations du Bureau concernant les
mesures prises par le Service correctionnel du Canada (SCC) contre la pandémie
de COVID-19.
- Résumé des affaires importantes et mises à
jour des principaux dossiers, notamment la coercition sexuelle et la violence
en milieu carcéral.
- Six enquêtes nationales dans des domaines de
préoccupation systémique.
- Évaluation
des exigences en matière de rapports obligatoires imposées aux petits et micro‑organismes,
comme le BEC.
- Vingt recommandations – dont quatre ne
relevant pas de la responsabilité directe du SCC.
- Perspectives de l’enquêteur correctionnel
pour les services correctionnels fédéraux en 2021-2022.
- Quatre annexes – Résumé des recommandations, statistiques annuelles et autres (par exemple, examens mandatés et examens du recours à la force effectués en 2020-2021) et information sur les rapports intégrés.
ENQUÊTES NATIONALES
1. Recours à la force sur des détenus fédéraux autochtones, noirs et de couleur (PANDC) et d’autres populations vulnérables
Objectif et contexte
Cette enquête examine le rapport entre la race et l’implication dans les incidents de recours à la force dans les pénitenciers fédéraux sur une période de cinq ans (2015 à 2020).
Constatations générales
- Les incidents de recours à la force ont
augmenté de façon constante au cours des cinq dernières années, malgré une
baisse générale de la population carcérale et l’introduction de changements
majeurs dans la gestion des incidents (c’est‑à‑dire la mise en
œuvre du modèle d’engagement et d’intervention) qui devaient entraîner une
diminution des recours à la force.
- Les aérosols inflammatoires (vaporisateur de
poivre) continuent d’être surutilisés et constituent le type de force le plus
couramment utilisé, dans plus de 40 % de tous les incidents.
- Une proportion importante des personnes impliquées dans des incidents de recours à la force avaient des antécédents de tentatives de suicide, d’automutilation ou des besoins en matière de santé mentale. Plus d’un quart (27 %) de tous les incidents de recours à la force impliquant des femmes purgeant une peine fédérale ont eu lieu en réaction à un comportement d’automutilation.
Constatations spécifiques
- Il a été constaté que
la race était uniquement associée à la surreprésentation des personnes
autochtones, noires et de couleur (PANDC) dans les incidents de recours à la
force dans les pénitenciers fédéraux. Plus
précisément, les PANDC représentaient 60 % de tous les recours à la force,
alors qu’elles ne constituent que 44 % de la population carcérale
fédérale.
- Indépendamment du niveau de risque, du niveau
de sécurité, de l’âge, de la durée de la peine ou du sexe, le fait de
s’identifier comme étant Autochtone ou Noir était associé à une plus grande
probabilité d’implication dans un incident de recours à la force. Plus
précisément, les personnes noires et autochtones constituaient 51 % de
toutes les personnes impliquées dans les recours à la force au cours des cinq
dernières années, alors qu’elles ne constituent que 37 % de la population
carcérale fédérale. Cette tendance ne fait que s’aggraver.
- Les personnes autochtones, en particulier,
sont largement surreprésentés dans les recours à la force, puisqu’ils
constituent 39 % des personnes impliquées dans les recours au cours des
cinq dernières années, alors qu’ils représentent 28 % de la population (en
moyenne) au cours de la même période.
- En plus d’être surreprésentées, les personnes
noires et autochtones subissent en moyenne plus de recours à la force par
personne, et c’est particulièrement le cas pour les personnes autochtones.
- Les femmes autochtones, noires et de couleur (PANDC)
constituent plus des deux tiers des femmes impliquées dans les recours à la
force. Ces chiffres élevés s’expliquent par la proportion croissante de femmes
autochtones en détention fédérale qui, sur la période de l’étude, constituaient
60 % de toutes les femmes impliquées dans un incident de recours à la
force, tout en constituant 40 % des femmes incarcérées.
- Le recours à la force dans les services correctionnels fédéraux semble vulnérable à l’influence des préjugés raciaux.
2. Examen des services correctionnels pour femmes trente ans après La création de choix
Contexte et objectif
Cette enquête examine les progrès réalisés dans les services correctionnels pour femmes au cours des trente dernières années par rapport aux principes et aux problèmes relevés dans La création de choix, le rapport de 1990 du Groupe d’étude sur les femmes purgeant une peine fédérale.
Constatations générales
- Les admissions dans les établissements
correctionnels fédéraux pour femmes ont plus que triplé, passant de 170 en 1990‑1991
à 562 en 2019‑2020.
- La composition de la population carcérale a considérablement changé. Les femmes autochtones constituent désormais 43 % des femmes condamnées à des peines de ressort fédéral, contre 23 % en 1990‑1991.
Constatations spécifiques
- La quasi-totalité des problèmes relevés il y
a trente ans (infrastructure inadéquate, sécurisation excessive, manque de
programmes et de services, mauvaises pratiques de réinsertion dans la
collectivité) reste des sujets de préoccupation importants aujourd’hui et
continue de contribuer aux mauvais résultats correctionnels de nombreuses femmes
incarcérées.
- Bon nombre des principes et idées progressistes promus par La création de choix – présomption de classification de sécurité minimale à l’admission;
pas de clôture d’enceinte; pas d’unités de sécurité maximale; pas de
ségrégation pour les femmes incarcérées; recours à la fouille à nu – ont été
abandonnés en faveur d’un cadre qui place la sécurité et le contrôle au premier
plan. Des pratiques correctionnelles spécifiques, telles que les fouille à nu aléatoires, traumatisent à nouveau les femmes, dont beaucoup ont
déjà subi des violences physiques, sexuelles, ou les deux.
- Le Bureau continue de recevoir des plaintes
concernant des membres du personnel qui discriminent ou intimident les femmes
en raison de leur race, de leur orientation sexuelle, de leur identité ou expression de genre. Cette culture organisationnelle ne contribue en aucun
cas à créer un milieu de guérison.
- La programmation, les services et les
interventions demeurent problématiques. Bien que certaines femmes nous aient
dit avoir eu des vécus positifs dans les programmes correctionnels, ceux-ci ne
se traduisent pas par de meilleurs résultats dans la collectivité pour beaucoup
d’autres. Les femmes autochtones ont un accès limité aux programmes
spécialisés, aux aînés et aux agents de liaison autochtones. Les formations
professionnelles destinées aux femmes sont souvent fondées sur des rôles et des attentes stéréotypés et offrent peu de compétences commercialisables.
- Le Bureau conclut qu’une démarche axée sur la sécurité imprègne presque tous les aspects des services correctionnels pour femmes, ce qui empêche le SCC de réaliser pleinement la vision énoncée dans La création de choix.
3. Unités d’intervention structurée (UIS)
Objectif et contexte : Cette enquête formule des observations préliminaires sur l’introduction dans les établissements pénitentiaires des UIS, qui ont remplacé l’isolement cellulaire (isolement préventif) en novembre 2019. Ces premières conclusions sont basées sur des entretiens en personne, l’analyse des plaintes des personnes logées dans les UIS, l’examen des décisions du décideur externe indépendant (DEI) et les réponses aux questionnaires envoyés au personnel du SCC et aux personnes travaillant ou logées dans les UIS.
Conclusions préliminaires
- En mai 2021, 46,8 % des personnes hébergées
dans une UIS s’identifiaient comme étant autochtones.
- Des problèmes de
collecte de données, de responsabilité et de transparence limitent la capacité
d’évaluer la conformité des UIS aux mesures et garanties prescrites – temps
hors cellule, contact humain « significatif », raison du placement.
- Aucun document
public concernant le respect des ordres de retrait des UIS par un décideur
externe indépendant (DEI).
- Les UIS bénéficient prétendument de conditions de détention plus favorables et d’un meilleur accès aux services par rapport aux autres secteurs des établissements de sécurité maximale. En conséquence, les détenus refusent souvent de quitter volontairement ces unités.
4. Isolement médical dans les services correctionnels fédéraux
Contexte et objectif : Cette enquête examine le recours à l’isolement médical (quarantaine) pour réduire la transmission de la COVID-19 dans les pénitenciers fédéraux.
Constatations
- L’approche du SCC en matière d’isolement médical pourrait
potentiellement violer ou dégrader les libertés résiduelles et les normes
minimales garanties par la loi (par exemple, l’exercice à l’air frais, le temps
passé hors de la cellule, l’accès aux programmes et aux services).
- Le SCC n’a pas la
capacité de suivre les séjours en isolement médical au-delà de quatorze jours.
- Le recours à l’isolement médical dans les établissements du SCC semble dépasser les besoins, voire les périodes de quarantaine ou les critères de pertinence clinique recommandés par les autorités de santé publique.
5. Suicide dans un établissement à sécurité maximale
Contexte et objectif
Cette enquête examine toute une série de faux pas cumulés qui ont contribué au suicide tragique d’un jeune homme autochtone (M) dans un établissement de sécurité maximale.
Contexte
- Au début de son incarcération, M a été victime d’une grave agression
perpétrée par un groupe de prisonniers. À partir de ce moment, M a exprimé sa crainte pour sa vie et sa
sécurité. Il a volontairement demandé d’être placé en isolement et a refusé
d’être renvoyé au sein de la population carcérale. M a été maintenu en isolement ou autre confinement restreint
jusqu’à son suicide six mois plus tard.
- M a fait l’objet de trois transferts involontaires à travers le pays afin de mettre fin à son isolement préventif (isolement cellulaire), qui servait à gérer ses comportements perturbateurs, agressifs et d’automutilation. Transfert après transfert, M est devenu de plus en plus isolé et replié sur lui-même, se distanciant de son plan correctionnel, de ses soutiens en santé mentale et de ses soutiens culturels. Les besoins en matière de santé mentale de M auraient dû de facto exclure les transferts involontaires et les placements en isolement.
Constatations
- L’enquête interne du SCC a
documenté six tentatives de suicide, douze comportements d’automutilation et
vingt-deux expressions d’idées suicidaires. Malgré une tendance croissante dans
la gravité et la fréquence des comportements suicidaires et d’automutilation de
M, une évaluation complète du risque
suicidaire de M n’a jamais été réalisée.
- Les actes d’automutilation
étaient considérés comme étant manipulateurs ou volontaires par nature, et
étaient traités par recours à la force.
- Aucun continuum de soins de
santé mentale coordonné n’était présent d’un établissement à l’autre. Les notes
d’évolution clinique et les préoccupations n’étaient pas transmises d’un
établissement à l’autre.
- Peu de surveillance régionale ou nationale de
ce cas, malgré les besoins complexes de M
en matière de santé mentale.
- Le fait que M était autochtone, ce qui aurait dû
être pris en compte dans ses plans de soins et de traitement, ne l’a pas été
dans l’administration de sa peine.
- L’enquête du SCC a conclu « qu’il n’y
avait aucun indicateur préalable à l’incident qui aurait pu prédire la mort de M », ce qui semble contredire
plusieurs facteurs de risque de suicide urgents, documentés et connus :
- M a refusé son
repas du midi, en suite il s’est pendu
quelques heures plus tard.
- M avait accumulé
des dettes en prison, qu’il a payées avant sa mort.
- M avait
confectionné un nœud coulant et l’avait accroché au dos de sa fenêtre la
semaine précédant son suicide.
- M a parlé de la perte de membres de sa famille juste avant sa propre mort.
- M a refusé son
repas du midi, en suite il s’est pendu
quelques heures plus tard.
- Les leçons retenues d’autres décès évitables, notamment en ce qui concerne les suicides en isolement, ne semblent pas être appliquées d’une enquête sur un incident à l’autre.
6. Ratification par le Canada du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture (PFCCT)
Question : Malgré les appels persistants du Bureau, entre autres, et les promesses successives des gouvernements, le Canada n’a toujours pas ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture (PFCCT). La ratification créerait un cadre pour l’inspection nationale et internationale, de manière indépendante, de tous les lieux de détention au Canada.
- Le Canada ne dispose pas d’un
cadre coordonné et proactif pour le contrôle et l’inspection des lieux où les
citoyens sont privés de liberté.
- La ratification du PFCCT créerait un mécanisme unique pour
l’inspection des établissements de détention de ressort fédéral (pénitenciers,
centres de surveillance de l’immigration, casernes de détention et prisons
militaires des Forces canadiennes et cellules de détention de la GRC).
- Plus largement, le PFCCT s’étendrait à tous les lieux et à toutes les personnes privées de liberté, indépendamment de la cause, des circonstances ou du contexte.
AUTRES QUESTIONS
Le fardeau des rapports sur les micro-organismes
- En tant que micro-organisme
de 40 employés, le BEC est soumis aux mêmes exigences en matière de
rapports obligatoires que le Service correctionnel du Canada (19 000 employés).
- Le Bureau est tenu de produire
quarante rapports intégrés chaque année, dont beaucoup sont redondants ou font
double emploi.
- Le fardeau que constitue la
production de ces rapports entrave la réalisation du mandat principal du
Bureau.
- Les éléments essentiels des rapports publics (transparence, résultats pour les Canadiens, rendement, responsabilité, gérance, optimisation des ressources) peuvent être condensés en un seul rapport de douze pages, qui est annexé au rapport annuel de cette année.
RECOMMANDATIONS
Le rapport annuel 2020-2021 contient vingt recommandations. Les principales recommandations sont :
- Que le SCC
élabore rapidement un plan d’action en consultation avec les intervenants pour
examiner la relation entre le recours à la force et le racisme systémique à
l’égard des personnes autochtones et noires, et qu’il rende compte publiquement
des changements, réalisables dans les politiques et les pratiques, à même de
réduire dans les faits la surreprésentation de ces groupes parmi les personnes
exposées au recours à la force.
- Que le SCC revienne aux principes
fondamentaux énoncés dans La création de
choix, qu’il élabore une stratégie à long terme qui prépare les femmes le
plus tôt possible à retourner à la vie en société, et que des ressources
importantes soient réaffectées au programme de surveillance communautaire et
aux programmes correctionnels communautaires afin de soutenir les femmes qui
retournent à la vie en société.
- Le SCC devrait publier sans délai
un registre trimestriel des autorisations de placement dans les UIS en vertu du
paragr. 34(2) de la Loi sur le système
correctionnel et la mise en liberté sous condition, y compris les raisons
invoquées pour accorder l’autorisation. Ce registre doit également indiquer le
nombre de cas où des personnes ont été soumises à une restriction de mouvement
en vertu du paragr. 37.91(1) de la Loi
sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.
- Que le SCC cesse de qualifier le
comportement d’automutilation non suicidaire en milieu carcéral de
« manipulateur », de « volontaire » ou de
« délibéré » par nature ou par intention. Une évaluation complète de
la santé mentale des personnes qui s’automutilent et des personnes suicidaires
doit être réalisée, et des conseils clairs doivent être donnés au personnel de
première ligne sur la manière de gérer et de désamorcer les incidents liés aux
comportements d’automutilation et aux comportements suicidaires.
- Que le premier ministre du Canada respecte l’engagement du gouvernement en signant le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et en prenant des mesures concrètes au cours des quatre prochaines années pour que cet important instrument des droits de la personne soit ratifié.
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